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Le logement et les jeunes

La galère du logement

Notre société est prise en flagrant délit : elle exclut plus la jeunesse qu’elle ne l’intègre. À bien y réfléchir, il n’y a pas de formule magique. Entre 20 et 30 ans, on jongle entre la colocation, les petits boulots, la résidence universitaire quand on a la chance d’y avoir accès et d’être étudiant.

 

À Lille

« En 6 ans d’études à Lille, j’ai tout essayé : le 19m2 vétuste avec un lavabo, la cité U qui ressemblait à une prison et enfin la colocation payée par mes parents et mon boulot à mi-temps dans un lycée » déclare Guillaume.

Autour de lui, pas un de ses amis n’est locataire individuel.

Clément a obtenu un CDI de caissier de machines à sous dans un casino lillois. Avec un peu plus du Smic, il a très vite abandonné l’idée de vivre seul. « J’ai cherché autour des 400 euros/mois, il n’y avait pratiquement rien. En plus, on vous demande de débourser 3 mois d’un coup avant de mettre un pied dans l’appartement ! Alors, j’ai envisagé une colocation et j’ai trouvé un 75 m2 pour la même somme, charges comprises, en plein centre de Lille. Je mets quiconque au défi de faire mieux ! » L’enthousiasme de Clément ne l’empêche pas d’être lucide : « Je m’exprime bien, je présente bien, je sais ce que je veux et j’ai déjà eu pas mal d’expériences de colocation mais comment font les autres ? Bien sûr, l’objectif c’est de pouvoir un jour se poser chez soi mais on doit l’admettre, c’est impossible de se loger quand on démarre, même avec un CDI. Quant à acheter, c’est beaucoup trop tôt pour moi, je ne sais pas du tout si je ferai ma vie ici. »

 

À Paris

« Pendant 3 mois, avant de trouver un logement, j’ai dû dormir dans ma voiture en plein Paris. Une galère infernale. Sans relation, sans aide familiale, j’ai enchaîné les petits boulots pour payer mes frais. Je n’étais pas assez pauvre pour la cité universitaire et pas assez riche pour les propriétaires. La honte » confie un étudiant de 21 ans. En Ile-de-France, en septembre dernier, on comptait 4 logements étudiants pour 100 demandes…

Sans logement, la vie du jeune actif est pour le moins précaire et le risque d’exclusion bel et bien renforcé. Depuis plus de 30 ans, Joëlle Bordet, psychosociologue, étudie le rapport au logement des jeunes dans les quartiers populaires. Elle mène en 2011 une étude pour la Fondation sur plusieurs quartiers à Thionville, Clichy-sous-Bois et Lille. Son constat est sans appel : « De plus en plus, on habite aussi dans la rue. Or c’est l’opposé d’un chez-soi, c’est un scandale. J’ai interviewé une jeune maman de 20 ans qui a dormi pendant 4 mois sous des abribus. Là où les niveaux de qualification sont très faibles, là où on ne connaît que l’intérim précaire – c’est-à-dire un ou deux jours de travail par-ci, par-là – le logement est le seul point d’appui possible pour construire l’adulte, pour se stabiliser. Les Foyer de Jeunes Travailleurs, les Comités locaux pour le logement autonome des jeunes (Cclaj) dans lesquels je me rends font un travail remarquable alors que l’État se désengage. Ces structures de proximité arrivent encore à proposer des logements de transition mais ont de moins en moins de moyens et de plus en plus de paperasse. Les éducateurs ne peuvent plus remplir leur mission… C’est la faillite de la démocratie pour les classes populaires. »

 

À Metz

« Emploi, logement, plus personne n’a de situation stable. Le logement est rare et cher et ne correspond pas à la demande de plus en plus forte des jeunes et des mères isolées. Les délais sont beaucoup trop longs dans le parc social et dans le parc privé, le loyer et la caution ainsi que les garanties demandés sont totalement inadaptés. » À la Boutique Logement de Metz, même si le constat est amer, on continue de se battre pour l’insertion par le logement.

 

Depuis 2005, le dispositif “Un toit pour un emploi” permet de financer des chambres d’étudiant et des places en Foyer de Jeunes travailleurs. « Ce logement étape est fondamental, il permet aux jeunes d’accéder à un statut social, tout simplement de se lever le matin et d’aller travailler ».

Effectivement, sans cette première marche, les 20-30 ans ne trouvent pas d’emploi stable et n’ont aucune chance d’accéder par la suite à un logement pérenne. Autre constat alarmant du Cclaj lorrain : sur les 600 personnes reçues chaque année, la majorité vit très modestement (RSA, contrats précaires…) et n’a pratiquement pas de soutien familial, sans l’Aide personnalisée au logement (APL), elle ne pourrait bénéficier de ces logements de transition.

Pour ces bénéficiaires déjà fragilisés, la situation devient chaque mois plus difficile et les écueils ne datent pas d’hier : les APL n’ont pas suivi le coût de la vie depuis dix ans et le Gouvernement a parlé récemment, en avril 2014, de les réduire, ce à quoi la Fondation s’oppose fermement.

Comment expliquer le gel des APL aux 6,3 millions de ménages aidés alors même que les coûts du logement sont en constante augmentation ?

 

À plusieurs reprises, Pauline a failli couler mais la Boutique Logement de Metz a été sa bouée de sauvetage. « Mère isolée, avec une fille de 5 ans, je ne rentrais dans aucune catégorie et du coup, j’étais dans la précarité totale. » Depuis le début de sa galère, Stéphanie, conseillère logement au Cclaj, l’écoute et la conseille dans toutes ses démarches. « J’ai fait ma première demande de garantie de loyer avec elle, puis mon dossier Dalo. J’ai pu payer mes notes de gaz et de chauffage… Il y a eu des mois où j’arrivais à peine à nous nourrir, ma fille et moi. Je devenais folle. Je ne voyais personne car j’avais honte. C’est grâce au Cclaj que j’ai tenu, que j’ai avancé. »

 

Autre témoignage, celui de Sophie, la trentaine, mise à la porte par son propriétaire en 2011 : « Il n’a pas renouvelé mon bail et m’a donné 6 mois avant de lancer la procédure d’expulsion. » Animatrice socio-culturelle en CDD et mère de 2 enfants, Sophie a d’abord atterri dans une maison vétuste, pour 600 euros mensuels, sans les charges. « Pendant un an et demi, nous avons vécu sans eau chaude, sans chauffage. Je n’en pouvais plus… Un soir, j’ai appelé la gendarmerie pour qu’elle mette ma fille de 2 ans à l’abri, au chaud. » Conséquence directe de cet habitat indécent : Sophie fait une dépression et arrête de payer ses loyers. « Mes parents ne m’ont pas aidée. On m’a conseillé de venir au Cclaj. J’ai rencontré Florie, et ça m’a sauvée. Elle m’a écoutée, elle a pris en compte mes demandes car je ne voulais pas me retrouver dans un quartier difficile avec mes enfants. Ils ont eu assez d’épreuves comme ça. Florie m’a aidée à déposer mon dossier Dalo et finalement, en juillet, après plus d’un an d’attente, j’ai eu un F3 pour 460 euros, charges comprises. Avec l’APL, je vais enfin pouvoir m’en sortir. »

Avec ce logement, Sophie s’éloigne un peu de la précarité et lit enfin la joie sur le visage de son fils adolescent. « Il est fou de joie de déménager ». Un retour à la dignité qui a commencé le 20 août 2011, avec la remise des clés.

 

« Et les Autres ? » Octobre 2011